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Déductibilité des rémunérations de management: un manager averti en vaut deux (bis)

Bart Verstuyft Bart Verstuyft

La gestion de bon nombre d’entreprises est assurée par une société distincte. Ce n’est là un secret pour personne. Ce gestionnaire est soit la société dite de management du dirigeant d’entreprise (ou d’autres membres des instances dirigeantes), soit une autre société lorsqu’il s’agit d’un groupe plus important. Il n’est d’ailleurs pas rare que cette société soit même nommée administrateur ou gérant et qu’elle perçoive des rémunérations d’administrateur et/ou des tantièmes.

Cette pratique est souvent inspirée par des motivations fiscales, mais requiert la plus grande prudence. En 2016, nous vous avions déjà exposé les principaux points d’attention à cet égard. Au vu de certaines évolutions récentes, nous avons estimé utile de vous les rappeler et de les compléter.

Les rémunérations de management et leur déductibilité

Vu l’article 195 CIR 92, la déductibilité des rémunérations de dirigeant d’entreprise allouées à des personnes physiques n’est pas remise en cause. À partir du moment où elles sont attribuées à une société, ces rémunérations entrent toutefois dans le collimateur du fisc qui peut contester la déductibilité de rémunérations de management (trop) élevées sur la base de l’article 49 CIR 92.

Tel qu’il ressort de cet article, les frais ne sont déductibles qu’aux conditions suivantes:

  • ils doivent se rattacher à l’exercice de l’activité professionnelle
  • ils doivent avoir été faits ou supportés pendant la période imposable
  • ils doivent avoir été faits en vue d’acquérir ou de conserver les revenus imposables, et
  • la réalité du montant de ces derniers doit pouvoir être justifiée.

Concrètement, le fisc exige - au regard de la dernière condition - qu’une rémunération de management soit dûment justifiée sur la base de prestations réellement fournies. Si le contribuable n’est pas en mesure de prouver l’existence d’un lien suffisant entre les prestations fournies et les rémunérations allouées, le fisc rejettera la déduction de ces dernières (qui seront taxées dans le chef de la société opérationnelle).

Afin de limiter ce risque, il est recommandé d’établir (au préalable) les documents probants permettant de corroborer la fourniture des prestations en question. Il importe, quoi qu’il en soit, d’établir un contrat de prestation de services dûment étayé devant contenir une description des prestations concrètes à fournir et fixer la rémunération (le mode de calcul de cette dernière) qui sera allouée. Il est également conseillé de préciser sur les factures périodiques les prestations fournies (description correcte) ainsi que leur prix respectif.

Néanmoins, ce contrat ne suffit pas. La Cour de cassation a récemment souligné qu’il ne suffit pas de présenter un contrat écrit, mais qu’il faut également être en mesure de prouver la réalité des prestations sous-jacentes aux rémunérations de management[1]. Cette preuve peut être apportée au moyen de relevés d’heures, d’e-mails, de rapports de réunions ou encore de notes corroborant le fait que les prestations ont effectivement été fournies.

La société gestionnaire a donc intérêt à disposer elle-même des moyens de fonctionnement nécessaires pour fournir les prestations (voiture, ordinateur portable, GSM...). Il est souvent constaté dans la pratique que ces outils sont mis à disposition par la société opérationnelle. Cette manière de procéder rend bien entendu la situation moins crédible. Sans compter qu’elle génère aussi des problèmes en matière d’avantages de toute nature. En effet, si les moyens de fonctionnement mis à disposition sont (également) utilisés à des fins privées, la société gestionnaire doit déclarer un avantage de toute nature dans le chef de son propre gérant et la société opérationnelle doit répercuter les frais réels.

Le fisc tente parfois de refuser la déduction au motif que les prestations de management ne sont pas fournies par la société gestionnaire, mais par la personne physique à la tête de cette dernière. La Cour de cassation a récemment rejeté cette piste d’attaque. Elle a en effet conclu que si une dépense correspond à une prestation réellement fournie, la déduction ne peut être rejetée au seul motif que les prestations n’ont pas été fournies par ou au nom du bénéficiaire de la rémunération[2]. En d’autres termes, si la réalité des prestations peut être prouvée, le bénéficiaire de la rémunération ne peut constituer un élément pertinent. Soulignons que l’arrêt de la Cour de cassation ne concerne que la déductibilité. Pour que la taxation dans le chef du bénéficiaire soit correcte, il importe évidemment encore et toujours que la rémunération soit allouée à la partie prestataire de services.

Et qu’en est-il des rémunérations d’administrateur?

Une société peut également percevoir une rémunération en tant qu’administrateur. Les conditions de déductibilité de ces rémunérations sont identiques. Néanmoins, conformément au droit des sociétés, les administrateurs sont, par définition, censés fournir des prestations spécifiques (représentation de la société, participation au conseil d’administration, établissement des comptes annuels...) de sorte que le fisc ne peut rejeter la rémunération qui leur est versée que si elle est déraisonnable et non conforme au marché. En d’autres termes, l’exercice d’un mandat ne justifie pas l’attribution de n’importe quelle rémunération. Il convient donc, ici aussi, de prouver la réalité des prestations.

Aussi est-il déconseillé d’exercer un mandat à la fois d’administrateur en nom propre (en tant que personne physique) au sein de la société opérationnelle et de représentant permanent au sein de la société gestionnaire. Dans pareille situation, la qualité au sein de laquelle les différentes prestations ont été fournies pourrait en effet donner lieu à discussion.

Précisons que le nouveau Code des Sociétés et des Associations (CSA) interdit le cumul de ces mandats. Désormais, une même personne ne peut être désignée comme membre du conseil d’administration qu’en une seule qualité. Les sociétés qui pratiquent aujourd’hui le cumul devront y mettre un terme dès lors qu’elles seront soumises au CSA.

En outre, l’administrateur n’est pas dégagé de sa responsabilité en opérant via une société gestionnaire. Un administrateur-personne morale devra en effet désigner une personne physique comme ‘représentant permanent’ qui aura pour mission d’agir au nom et pour le compte de la personne morale en question. Ce représentant permanent encourt la même responsabilité civile et pénale que s’il exerçait le mandat en son nom propre et pour son propre compte.

En va-t-il de même pour les rémunérations sous la forme de tantièmes?

L’assemblée générale de la société opérationnelle peut également distribuer le bénéfice (ou une partie de ce dernier) sous la forme d’un tantième à la société-administrateur. Un tantième n’est pas une rémunération allouée pour des prestations effectivement fournies. Il s’agit d’une technique de droit des sociétés destinée à permettre aux administrateurs de participer au bénéfice de la société.

Pourtant, le fisc tente d’appliquer, ici aussi, l’article 49 CIR 92 en exigeant une preuve des prestations réelles. La Cour de cassation est également intervenue sur cette question [3] et a conclu que le fisc ne peut pas contester la déductibilité puisque l’administrateur a contribué à la réalisation du résultat. En d’autres termes, si le tantième est distribué sur le bénéfice de l’exercice comptable (ou les bénéfices des exercices comptables antérieurs) au cours duquel (desquels) la société-administrateur a également assuré la gestion effective, le fisc pourra difficilement attaquer la déductibilité des tantièmes attribués.

Bien que l’arrêt rendu par la Cour soit certes positif, il ne peut être interprété comme une invitation à distribuer des tantièmes exagérés à n’importe quelle société mandatée. Il faudra encore et toujours démontrer que l’administrateur-personne morale a, par ses prestations, contribué à la réalisation du bénéfice. Tel est ce qu’il ressort d’un jugement du tribunal de Bruges[4] qui rejette la déduction d’un tantième sur la base de l’article 344, § 1er CIR 92 (abus fiscal). Le tribunal a en effet qualifié cette pratique de construction fictive visant à transférer les bénéfices vers une société déficitaire qui n’avait de facto fourni aucune prestation de management effective.

Précisons également qu’à compter de 2020, toute distribution du patrimoine (y compris donc les tantièmes) au sein d’une SRL sera soumise à un double test de distribution, à savoir le test de bilan et le test de liquidité.

Déduction de la TVA sur les rémunérations de management et d’administrateur: uniquement aussi pour les prestations réelles

Tel qu’il ressort de la jurisprudence de ces dernières années, la preuve des prestations fournies joue un rôle important non seulement en matière de déductibilité dans le cadre des impôts sur les revenus, mais aussi pour l’application du droit à la déduction de la TVA sur les rémunérations de management et d’administrateur perçues. Cette preuve est d’autant plus importante que les rémunérations d’administrateur perçues, y compris les tantièmes recueillis par les administrateurs-personnes morales, entrent en principe d’ores et déjà dans le champ d’application de la TVA[5].

Pour pouvoir prétendre à la déduction de la TVA, l’assujetti doit donc non seulement disposer d’une facture conforme (condition de forme prévue par l’AR n° 3), mais aussi être en mesure de prouver que les services ont été ‘effectivement fournis’ (condition dite essentielle). Tout comme en matière d’impôts sur les revenus, les documents admis au titre de preuves sont les suivants: (1) un contrat écrit, (2) des factures conformes à la législation relative à la TVA devant mentionner les prestations ainsi que leur prix respectif, (3) tout document justifiant les prix appliqués et (4) d’éventuelles autres communications soumises.

Même si les réglementations en matière de TVA et d’impôts sur les revenus semblent aller dans le même sens pour ce qui est de cette problématique, force est toutefois de constater que les règles appliquées par l’administration de la TVA et le fisc sont parfois contradictoires.

Tel est par exemple le cas en ce qui concerne les tantièmes que l’administration de la TVA considère comme une rémunération pour prestations fournies (et non comme participation au bénéfice), mais aussi la rétrocession de rémunérations d’administrateurs (situation dans laquelle un administrateur-personne physique cède sa rémunération à une société). Concernant ce dernier cas de figure, les services centraux de la TVA nous ont encore récemment confirmé que pour déterminer l’assujettissement à la TVA, il convient toujours de prendre comme point de départ le fournisseur proprement dit de la prestation de service, même si ce dernier a rétrocédé sa (ses) rémunération(s) à un tiers[6].

 

 

 

[1] Cass. 15 octobre 2015

[2] Cass. 22 mars 2019

[3] Cass., 24 octobre 2013

[4] Trib. Bruges, 25 juin 2018

[5] Décision TVA n° E.T.127.850 dd.30.03.2016

[6] E.T. 134.938 dd. 14.03.2019