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Dispositions déséquilibrées dans les contrats B2B et les conditions générales ...

Marc Van den Bossche Marc Van den Bossche

... à supprimer impérativement à partir du 1er décembre 2020

Le 4 avril 2019, le législateur a modifié le Code de droit économique (CDE) en vue d’introduire certains mécanismes de protection dans les relations B2B. Cette modification de loi vise à protéger les parties ‘plus faibles’ contre les abus des parties ‘plus fortes’ dans le cadre des opérations et contrats entre entreprises. Les principes du droit des consommateurs s’invitent par conséquent dans la sphère B2B.

Dans une précédente édition, nous nous sommes intéressés de plus près aux modifications concernant les pratiques du marché dites déloyales. Nous traiterons, ci-après, des nouvelles règles relatives aux clauses dites abusives.

Comme dans les relations B2C, les clauses contractuelles qui, à elles seules ou combinées avec d’autres clauses, créent un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties seront désormais également considérées comme abusives et dès lors interdites dans les relations B2B.

L’interdiction générale se traduit entre autres par deux listes de catégories spécifiques de clauses que le législateur considère comme abusives:

  • la liste noire des clauses abusives et interdites en toutes circonstances, et
  • la liste grise des clauses présumées abusives sauf preuve contraire.

Clauses abusives – règles générales

La règle générale est que toute clause (disposition) contractuelle qui crée un déséquilibre manifeste (déséquilibre clair) entre les droits et les obligations des parties est considérée comme abusive (non valable). Cette règle ne s’applique pas aux clauses dites essentielles, qui déterminent l’objet même du contrat, sauf si ces clauses essentielles ne sont pas formulées de manière claire.

L’interdiction vise uniquement le déséquilibre juridique dans le contrat, et donc pas le déséquilibre économique. À moins qu’il s’agisse de clauses interdites (voir infra), l’ensemble des accords est évalué afin d’établir si certains accords constituent (à eux seuls ou combinés avec d’autres) une clause abusive. Il s’agit toujours d’une question de fait. Les conséquences concrètes d’une ou plusieurs clauses pour les parties sont prises en considération à cet égard.

Les clauses doivent en outre être formulées de manière claire et compréhensible; il s’agit de l’exigence de transparence. À cet égard, il peut également être tenu compte des informations communiquées en marge du contrat, par exemple dans le cadre d’une campagne publicitaire ou de précédents projets de contrat. Les clauses peu claires seront généralement interprétées au détriment de la partie qui les a stipulées (c’est-à-dire de la partie qui tire des droits de cette clause).

Il va sans dire que l’obligation d’information active dans la phase précontractuelle devient de ce fait beaucoup plus importante et qu’il nous faut dès lors disposer de systèmes qui permettront de prouver par la suite de quelle manière les parties se sont acquittées concrètement de cette obligation d’information.

Les nouvelles règles susmentionnées offrent donc des possibilités étendues pour ensuite contester les clauses ‘ennuyeuses’ des contrats et échapper ainsi à leur application. Pour l’heure, il faut attendre de voir comment les juges appliqueront cette législation dans la pratique.

Les marchés publics et les services financiers sont exclus du champ d’application des règles relatives aux clauses abusives (cette matière est de toute façon déjà très réglementée).

Clauses abusives – liste noire

Les clauses suivantes (liste noire) sont interdites en toutes circonstances:

  • clauses qui lient irrévocablement une partie, alors que l’exécution des obligations de l’autre partie est soumise à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté
  • clauses qui confèrent à une partie le droit unilatéral d’interpréter une quelconque clause du contrat 
  • clauses par lesquelles une partie s’engage à renoncer à tout moyen de recours contre l’autre partie (dans le cadre d’un litige) 
  • clauses qui constatent de manière irréfragable la connaissance ou l’adhésion d’une partie à des clauses dont elle n’a pas eu, effectivement, l’occasion de prendre connaissance avant la conclusion du contrat.

Il n’est en aucun cas possible de défendre le caractère non abusif de ces clauses. De telles clauses sont toujours nulles.

Cette liste doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. Elle peut être étendue, de manière générale ou par secteur, par arrêté royal.

Clauses abusives – liste grise

La liste grise contient les clauses qui sont présumées abusives, sauf preuve contraire (ces clauses suivent le principe ‘comply or explain’):

  • clauses qui autorisent une partie à modifier unilatéralement, à son entière discrétion, le prix, les caractéristiques ou les conditions du contrat 
  • clauses de prorogation ou renouvellement tacite d’un contrat à durée déterminée sans spécification d’un délai raisonnable de résiliation 
  • clauses de renversement du risque économique sans contrepartie 
  • clauses qui limitent de manière inappropriée les droits d’une partie en cas de non-exécution par l’autre partie de ses obligations contractuelles
  • clauses qui engagent les parties sans droit à un délai raisonnable de résiliation
  • clauses qui limitent fortement/excluent la responsabilité d'une partie
  • clauses qui limitent les moyens de preuve, et
  • clauses qui fixent des montants de dommages et intérêts excessifs.

Si une ou plusieurs clauses grises sont prévues dans un contrat, il est préférable de prévoir pour chaque clause une justification dans le contrat même (le cas échéant, dans un avenant au contrat). Il doit alors être expliqué dans le contrat pourquoi la ou les clauses grises ne créent pas un déséquilibre juridique manifeste dans l’ensemble des accords entre les parties et/ou dans le contexte spécifique (nature du bien ou service, secteur, usages commerciaux...). Les clauses standard ou ‘boiler plates’ ne sont donc pas souhaitables.

Possibilité d’invoquer des éléments économiques comme preuve du caractère non abusif

Tel qu’exposé ci-dessus, les parties sont libres de fournir la preuve contraire et de prouver le caractère non abusif de la disposition à première vue déséquilibrée, sauf si la clause figure sur la liste noire.

Pour ce faire, il peut être tenu compte des aspects suivants:

  • la clarté et l’intelligibilité des clauses 
  • ‘l’économie générale’ du contrat (autrement dit les équilibres économiques) 
  • les usages commerciaux 
  • les autres clauses dans des contrats connexes, pour autant qu’ils soient pertinents 
  • le contexte plus large, le marché, la nature du produit,…

Une disposition à première vue déséquilibrée peut ainsi ne pas être abusive si elle est économiquement souhaitable et a été prise en compte dans la fixation du prix, par exemple. Cette intention du législateur transparaît entre autres du traitement au Parlement[1].

Priorité aux règles spécifiques

En cas de contradiction entre des règles spécifiques (protection de l’agent commercial, règles pour le secteur de l’énergie,...) et les règles relatives aux clauses abusives, les règles spécifiques priment.

À défaut de contradiction, les deux séries de règles peuvent s’appliquer de manière complémentaire.

Sanction et entrée en vigueur

Les clauses abusives peuvent être annulées par un juge. La réglementation est de droit impératif, le choix en faveur d’un autre droit applicable que le droit belge ne peut donc pas être invoqué devant un juge belge pour y échapper. La clause abusive est supprimée du contrat, mais le contrat continue en principe à s’appliquer, sauf si l’essence du contrat est affectée par la suppression de la clause.

Les intéressés et le ministre compétent peuvent en outre introduire une action en cessation (demande de cessation) contre l’utilisation de clauses déloyales.

Les nouvelles règles relatives aux clauses abusives entrent en vigueur à partir du 1er décembre 2020 et s’appliquent aux contrats conclus, modifiés ou renouvelés après l’entrée en vigueur de la modification de loi.

En 2020, les entreprises auront donc fort à faire afin de contrôler les modèles de contrats et conditions générales (de vente et d’achat) qu’elles utilisent. Une attention particulière sera en outre requise en cas de modification ou de renouvellement d’un contrat existant. Nos conseillers juridiques peuvent assurément vous assister en la matière.

 

[1] Justification de l’Amendement n° 18, Doc. parl. Chambre 2018-19, n° 54-1451/003, 32