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Représentation correcte des sociétés

Tim Dausy Tim Dausy

Les sociétés posent quotidiennement des actes juridiques. Elles concluent des contrats, signent des bons de commande, engagent et licencient du personnel… Une société n’est cependant pas une personne physique capable de poser elle-même ces actes (juridiques) ou de signer les documents y afférents. À cet effet, la société doit pouvoir compter sur des personnes physiques qui posent ces actes en son nom, autrement dit, qui la représentent. La question qui se pose est la suivante : comment déterminer/vérifier qui est habilité à représenter la société? Nous nous concentrerons sur les deux formes de société les plus répandues en Belgique, à savoir la société anonyme (SA)[1] et la société à responsabilité limitée (SRL).

Quelle est l’importance d’une représentation correcte?

Une représentation correcte est très importante, tant pour la société elle-même et pour ceux qui la représentent que pour les tiers qui contractent avec elle.

Une société incorrectement représentée peut en subir des conséquences préjudiciables. La jurisprudence du Conseil d’État offre de nombreux exemples de recours introduits par des sociétés qui se sont senties lésées lors d’adjudications publiques, dont les offres ont été déclarées irrecevables en raison d’une représentation incorrecte de la société, soit lors de la participation à l’appel d’offres, soit lors de l’introduction du recours devant le Conseil d’État.

Un représentant qui outrepasse sa compétence engage par ailleurs sa responsabilité personnelle. Si la société incorrectement représentée devait subir des dommages du fait de cet excès de pouvoir (par exemple des frais d’avocat), elle pourrait, dans certains cas, se retourner contre le représentant. Il se pourrait également que la société décide de révoquer le mandat du représentant pour rupture de confiance. Il n’est en outre pas à exclure que certaines circonstances puissent engager la responsabilité du représentant envers des tiers lésés.

Pour les tiers qui contractent avec la société, il est tout aussi important de s’assurer que leur cocontractant soit correctement représenté. En cas de représentation incorrecte, la société avec laquelle ils contractent n’est en effet pas valablement engagée et la société a la possibilité de ne pas respecter le contrat conclu. Cela peut évidemment avoir des conséquences néfastes pour le cocontractant (par exemple en raison de commandes annulées, de prestations déjà réalisées qui pourraient rester impayées).

Comment une société peut-elle être valablement représentée ?

Société anonyme (SA)

Depuis l’introduction du Code des sociétés et des associations, les statuts peuvent prévoir qu’une SA est administrée par un seul administrateur. Dans ce cas, la situation est évidemment très simple, puisque la signature unique de l’administrateur suffira pour représenter la société.

Dans une SA dotée d’un conseil d’administration collégial (administration moniste), celui-ci représente la société dans tous les actes juridiques[2]. Il est généralement admis que la signature par la majorité des membres du conseil d’administration suffit pour que la SA soit correctement représentée et donc engagée.

  • Si, par exemple, le conseil d’administration est constitué de cinq administrateurs, la SA sera valablement représentée et donc engagée, si au moins trois administrateurs ont signé le document/contrat en question.

Par ailleurs, il est possible que les statuts de la SA stipulent que la société – parallèlement au pouvoir de représentation générale du conseil d’administration – peut être représentée/engagée en justice (par exemple) par deux administrateurs agissant conjointement, ou même par un administrateur unique (souvent qualifié d’’administrateur délégué). Les statuts incluent alors, selon le cas, une ‘clause de signatures multiples ou une ‘clause de signature unique.

  • La SA sera valablement représentée si le nombre minimum d’administrateurs prévu dans les statuts a signé le document/contrat en question.

Il se peut également que la SA soit représentée/engagée sur la base de mandats spéciaux accordés par le conseil d’administration à une personne déterminée, dans lesquels les pouvoirs de représentation sont énumérés de façon claire et détaillée. Attention : un mandat général, en vertu duquel une personne déterminée est investie individuellement de tout le pouvoir de décision, n’est pas valable. Le mandat accordé doit donc toujours porter sur un nombre déterminé d’actes (juridiques) décrits (spécifiquement).

  • La SA sera valablement engagée si le mandataire spécial signe les documents/contrats qui relèvent des pouvoirs qui lui ont été conférés.

Pour mémoire – Nous ne traiterons pas en détail de la situation dans laquelle une SA a institué une administration duale, avec un conseil de surveillance (compétent entre autres pour la politique générale et la stratégie, et pour les tâches réservées par la loi) et un conseil de direction (compétent pour exercer tous les pouvoirs de gestion qui ne sont pas réservés au conseil de surveillance). Pour résumer, dans ce cas, une représentation similaire à celle visée ci-dessus, dans les limites des pouvoirs conférés au conseil de surveillance ou au conseil de direction (via la majorité des membres des collèges, via des clauses statutaires de signature unique ou de signatures multiples ou via des mandats spéciaux), pourra être organisée.

Société à responsabilité limitée (SRL)

Lorsque la SRL ne compte qu’un seul administrateur, la situation est bien entendu très simple, puisque la signature unique de l’administrateur suffira pour représenter la société.

Si plusieurs administrateurs sont nommés, mais ne forment pas un collège (voir ci-dessous), le pouvoir de représentation revient en principe à chaque administrateur, agissant individuellement[3].

  • Sauf disposition statutaire contraire, la SRL – même si elle nomme plusieurs administrateurs – sera valablement engagée si au moins un administrateur a signé le document/contrat.

Les statuts peuvent déroger à ce principe en stipulant que la signature de plusieurs administrateurs est requise pour représenter/engager valablement la société (ladite ‘clause de signatures multiples).

  • Dans ce cas, la signature d’un seul administrateur ne suffit plus. La SRL ne sera valablement représentée que si le nombre d’administrateurs prévu dans les statuts a signé le document/contrat en question.

Cependant, il est également possible dans une SRL d’organiser une administration collégiale, comme dans le cas d’une SA (voir ci-dessus), en prévoyant dans les statuts l’institution d’un collège des administrateurs. Dans ce cas, la société ne pourra être représentée en principe que par la majorité des administrateurs.

Ici aussi, les statuts d’une SRL peuvent inclure des dispositions dérogatoires, en stipulant par exemple que la société – parallèlement au pouvoir de représentation générale du collège des administrateurs – peut être représentée/engagée en justice par deux administrateurs agissant conjointement, ou même par un seul administrateur (également qualifié d’’administrateur délégué sans doute par analogie avec la SA). Les statuts incluent alors, selon le cas, une ‘clause de signatures multiples ou une ‘clause de signature unique.

  • La SRL ne sera valablement représentée, le cas échéant, que si le nombre d’administrateurs prévu dans les statuts a signé le document/contrat en question.

Il est également possible dans la SRL d’organiser la représentation sur la base de mandats spéciaux accordés par l’organe d’administration à une personne déterminée. Les mêmes principes que ceux décrits pour la SA sont en l’occurrence d’application.

  • La SRL sera valablement engagée si le mandataire spécial signe les documents/contrats qui relèvent des pouvoirs qui lui ont été conférés.

Limitations non opposables aux tiers

Tant dans la SA que dans la SRL, les statuts peuvent limiter ce pouvoir de représentation, par exemple, à certains actes (par exemple, un administrateur n’est compétent individuellement que pour les opérations d’achats) ou à certains montants (par exemple, un administrateur n’est compétent individuellement que pour les opérations à concurrence d’un montant de €100000,00 ).

Une telle limitation n’est pas opposable aux tiers, même si elle est publiée. Cela signifie que la société sera quand même valablement engagée si un administrateur visé dans les exemples précités a effectué une opération de vente ou a réalisé un achat pour un montant supérieur à €100000,00 .

L’administrateur en question aura toutefois enfreint les règles internes de la représentation externe et sera sanctionné pour ce motif (responsabilité de l’administrateur, révocation de son mandat).

Où trouver les informations pertinentes?

La société représentée trouvera évidemment toutes les informations pour déterminer qui est compétent pour représenter la société, dans ses statuts et dans son processus décisionnel interne conforme au droit des sociétés.

Pour les tiers, les Annexes du Moniteur belge constituent la principale source d’informations.

Tout d’abord, toute société est tenue de publier un extrait de son acte constitutif aux Annexes du Moniteur belge, qui indique, entre autres, qui administre et engage la société, quelle est l’étendue de leur pouvoir et si ce pouvoir doit être exercé individuellement, conjointement ou collégialement. Toute modification de ces règles de représentation sera (devra être) également publiée par extrait aux Annexes du Moniteur belge.

Toute nomination ou révocation d’un administrateur devra en outre être publiée de la même manière. Étant donné que les Annexes du Moniteur belge sont disponibles en libre accès (gratuitement) sur internet (http://www.ejustice.just.fgov.be/tsv/tsvn.htm), les tiers peuvent, par cette voie, accéder aux informations suivantes : (i) nombre de signatures requises pour engager la société et (ii) identité des signataires.

Une société n’est par contre pas obligée de publier l’octroi de pouvoirs spéciaux aux Annexes du Moniteur belge. Si le mandat n’est pas publié, le tiers concerné a tout intérêt à demander au mandataire spécial de lui présenter une «version papier» originale signée de son mandat. Si le mandat est publié aux Annexes du Moniteur belge, la preuve du mandat peut être obtenue en consultant les Annexes du Moniteur belge. C’est pour cette raison que dans la pratique, il est fréquent que les mandats spéciaux soient publiés.

 

 

[1] En ce qui concerne les sociétés anonymes, nous nous limiterons dans cette contribution à l’hypothèse de l’administration moniste (conseil d’administration collégial) et de l’administrateur unique. Le modèle d’administration duale (conseil de surveillance – comité de direction), qui est actuellement peu utilisé dans la pratique par nos clients, n’est traité que très succinctement. Si nécessaire, le lecteur peut bien sûr contacter nos conseillers juridiques pour obtenir plus d’informations à ce sujet.

[2] Art. 7:93 §2 CSA.

[3] Art. 5:73, alinéa trois CSA.